novembre/décembre 2017
Les missions de la Société archéologique de Bordeaux
La Société archéologique de Bordeaux, depuis sa création en 1873, a eu le soin constant de faire connaître et apprécier le patrimoine de Bordeaux et de son arrière-pays girondin, mais aussi d’attirer l’attention sur sa préservation lorsqu’il présente un intérêt justifié.
Ses missions ont bien évidemment évolué au cours des années. Contrairement à bien d’autres sociétés savantes, elle a su s’adapter et se montrer même avant-gardiste en adoptant les inventions techniques du moment, depuis celle de la photographie à la fin du XIXe siècle pour répertorier les monuments, jusqu’à la numérisation récente des albums de dessins qu’elle conserve, pour leur diffusion sur internet. De grands historiens et archéologues ont contribué à son renom, tels François Daleau, Camille Jullian ou Auguste Brutails, initiant des recensements détaillés ou des études systématiques.
Des vestiges du passé collectés par la Société au Musée du Vieux Bordeaux
Elle a joué un rôle essentiel dans la sauvegarde des vestiges urbains à une époque troublée où les corps de métier de conservateurs du patrimoine (en archéologie, ou de musée) n’étaient guère qu’une charge honorifique ou ne présentaient pas les mêmes exigences qu’aujourd’hui. Ces vestiges » récoltés » depuis le XIXe siècle et un peu délaissés par les édiles l’ont poussée à créer un musée, le Musée du Vieux Bordeaux, installé dans la Porte Cailhau mise à leur disposition par la municipalité.
Afin de présenter un ensemble cohérent, elle encouragea les nombreux dons et dépôts de ses membres actifs, à défaut de pouvoir présenter les éléments lapidaires récupérés par elle et hébergés dans divers dépôts de la ville. Elle n’a cessé d’inciter les élus à regrouper les divers « musées » et dépôts existant et à œuvrer à leur réorganisation. Cette volonté de la Société de provoquer la création de musées thématiques valorisant l’histoire et la civilisation de la nation répond à un même phénomène d’émulation provoqué par les sociétés savantes à l’échelle nationale.
Réorganisation des musées par la Ville à laquelle la Société dépose ses collections
La création par la Ville d’un musée préhistorique est suivie de près par celle d’un dépôt d’Antiques, puis de plusieurs, rendus nécessaires par les découvertes liées aux grands travaux urbanistiques. La Société n’aura pas été étrangère non plus à celle d’un musée d’arts décoratifs, qui lui offrit la possibilité d’y mettre enfin en valeur les très belles boiseries du XVIIIe siècle récupérées d’hôtels particuliers de Bordeaux appelés à disparaître ou à changer de destination.
La réorganisation complète des différents musées de la ville après guerre et leur mise en valeur à partir des années 1960 l’ont amenée à se défaire du Musée de la Porte Cailhau et à consentir, à partir d’une convention passée avec la Ville en 1980, à lui déposer ses collections au bénéfice du Musée d’Aquitaine.
Restauration, conservation et présentation des œuvres de la Société archéologique de Bordeaux
Ce sont plus de deux mille objets de la Société archéologique qui sont aujourd’hui conservés par le Musée d’Aquitaine, dont un quart environ est présenté dans les salles dites » permanentes « , avec une rotation pour les plus fragiles d’entre eux.
On compte parmi ces objets un grand nombre d’œuvres de premier plan pour l’appréciation du patrimoine ancien bordelais, des sculptures, des objets extrêmement variés et parfois rares, voire uniques en leur genre. La très grande majorité d’entre eux est passée par les mains expertes des restauratrices du Musée d’Aquitaine du temps où un laboratoire de restauration existait, redonnant peu à peu tout leur lustre à des objets souvent oxydés ou devenus illisibles avec le temps, permettant ou facilitant leur étude. Des photographes professionnels de la Ville de Bordeaux veillent à les photographier avant et après restauration, pour les demandes de publications, et les catalogues d’exposition.
Parmi ces œuvres, citons les haches préhistoriques de l’Âge du Bronze collectées par François Daleau et le Dr Ernest Berchon, l’exceptionnelle statuette antique de la déesse Isis-Fortune, l’épée d’enfant du XVe siècle, le globe terrestre du XVIIIe siècle et son étui en galuchat, le Journal de Bord du bateau négrier Le Patriote ou les merveilleuses aquarelles de La Foire de Bordeaux en 1923 qui illustrent le passé colonial de Bordeaux et son intérêt pour l’Outre-Mer.
Le rayonnement de la collection au sein d’un des plus grands musées de province
Parmi les nombreuses demandes de prêt adressées au Musée d’Aquitaine par les musées français ou étrangers pour des expositions temporaires, figurent le plus souvent un ou plusieurs objets déposés par la Société archéologique de Bordeaux, dont elle accorde bien volontiers le prêt. Ces œuvres, mises en ligne à partir des fiches informatisées rédigées par la conservation du musée, permettent d’illustrer presque tous les sujets, du fait de leur très grande diversité. Elles touchent à l’histoire et à la civilisation depuis la préhistoire jusqu’au XIXe siècle, comme le fonds même du Musée d’Aquitaine, riche au surplus des collections d’ethnographie extra-européennes et de celles qui évoquent le XXe siècle.
C’est ce qui ont conduit le Musée d’Aquitaine et les Archives municipales à vouloir retracer l’histoire et l’évolution de la Société par l’exposition intitulée Archéologie à Bordeaux, regards sur la Société archéologique de Bordeaux, 1873-2005, présentée en 2006 au Musée d’Aquitaine.
Des dépôts d’œuvres importants
La Société archéologique conserve encore des trésors, qu’elle dépose peu à peu au Musée d’Aquitaine par avenants à la convention initiale de 1980 avec la Ville de Bordeaux.
Depuis 1989, des documents iconographiques complètent de façon merveilleuse ce fonds : figure ainsi Le Port de Bordeaux, esquisse de Pierre Lacour pour le grand tableau que l’on connaît, déposé récemment. Et parmi les trente-deux dessins, ceux d’objets conservés par le Musée d’Aquitaine, situés en contexte, comme la célèbre Maison de l’armurier du début du XVIe siècle – à l’angle du cours Victor-Hugo et de la rue des Faures – par Gustave Labat (1860), dont le musée conserve des vantaux à guichets en bois, ou la porte du début du XVIIe qui ornait la demeure du sieur d’Espagnet rue des Bahutiers, et qui pourra être remontée un jour pour être présentée au public grâce à la gravure de L. Desjardins fils.
Une publication de premier plan aidée par la Ville de Bordeaux
L’intérêt du fonds de la Société archéologique de Bordeaux réside pour beaucoup – notamment pour les pièces archéologiques – dans le fait qu’il est très documenté par l’incontournable catalogue édité par elle en 1974 pour célébrer son centenaire, auquel des personnalités scientifiques de premier plan, tels les professeurs François Bordes, Pierre Grimal, Jean Marcadé et Paul Roudié, ont contribué. Elle est aussi très renseignée par le Bulletin puis la Revue qu’elle publie chaque année depuis 1874. Les membres de la Société n’ont eu de cesse de sillonner la ville et rendre compte avec précision des découvertes réalisées à la suite des aménagements urbains comme du moindre chantier ponctuel.
La Revue, aidée principalement par la Ville de Bordeaux depuis l’année 1980, reçoit aussi une aide du Département, et l’apport essentiel des résultats de fouilles communiqués par le Service Régional d’Archéologie (D.R.A.C. Nouvelle-Aquitaine).
Ainsi, peut-on affirmer que la très grande majorité des vestiges archéologiques découverts à Bordeaux depuis 1874 sont renseignés par cette publication, qu’ils appartiennent au fonds de la Société archéologique, à la Ville de Bordeaux, ou, aujourd’hui, à l’état.
Mais la Revue présente aussi des dossiers archéologiques ou historiques qui font état de recherches très abouties, et qui s’appuient fréquemment sur les documents anciens conservés dans d’autres institutions patrimoniales telles que les Archives municipales ou départementales, le Service Régional de l’Inventaire (Région Nouvelle-Aquitaine) ou les services des Bâtiments de France, des Monuments Historiques ou du Service Régional de l’Archéologie (Direction Régionale des Affaires Culturelles de Nouvelle-Aquitaine) et de leurs Centres de documentation. Elle rend compte des communications mensuelles faites en son sein, y compris numismatiques.
Les cours publics : une diffusion des connaissances ouverte à tous
Le rôle de la Société archéologique de Bordeaux ne s’arrête pas là : elle veille à la diffusion des connaissances au plus grand nombre par ses cours publics, proposés librement chaque année dans l’auditorium du Musée d’Aquitaine sur un thème transversal, et dont le succès ne s’est jamais démenti. Elle invite ainsi archéologues, professeurs d’université ou chercheurs à partager leurs dernières découvertes par une présentation à la fois pédagogique et très accessible sur un thème pouvant se décliner sur plusieurs siècles, concernant Bordeaux et son arrière-pays. Ces présentations sont devenues un rendez-vous incontournable de la programmation culturelle du Musée d’Aquitaine.
Anne ZIEGLE
Conservateur au Musée d’Aquitaine
Société archéologique de Bordeaux