janvier/février 2014
L’étoile des rois Mages est-elle une réalité ? Parmi les quatre évangélistes, seul Matthieu fait référence à une étoile en relation avec la naissance du Christ. Dans la référence la plus détaillée (Matthieu II, 2), l’astre apparaît deux fois : « Nous avons vu son astre se lever et sommes venus lui rendre hommage… Alors Hérode manda secrètement les Mages, se fit préciser par eux la date de l’apparition de l’astre… et voici que son astre qu’ils avaient vu à son lever les devançaient ». La deuxième partie contient un élément intéressant : le phénomène ne devait pas être spectaculaire car Hérode se fait préciser les caractéristiques de l’apparition, ce qui signifie qu’il ne l’a pas vu ou qu’il n’a pas été annoncé ; de même que l’homme de la rue ne l’aurait pas remarqué. En revanche son caractère exceptionnel l’avait fait remarquer par les Mages familiers de l’observation du ciel. Il est fort possible que l’on ait affaire à deux phénomènes astronomiques différents, le premier provoque le déplacement des Mages alors que le second se manifeste à Jérusalem après leur entrevue avec Hérode. Ce double aspect est important pour les interprétations que nous pourrons donner par la suite. Avant de nous intéresser aux phénomènes astronomiques examinons quelques éléments historiques.
1) Les évènements se passent sous le règne du roi Hérode et d’après l’historien Juif Flavius Josèphe, Hérode est mort peu après une éclipse de lune visible de Jéricho. Il s’en est produit une dans la nuit du 12 au 13 mars de l’an 5 avant J.-C., ce qui signifie que la naissance du Christ serait antérieure à cette année.
2) D’après l’évangile de Luc, Joseph et Marie séjournent à Nazareth en raison du recensement général décrété par César Auguste. Ce recensement s’effectuait au lieu de naissance du chef de famille et non dans le lieu de résidence. En Judée l’organisation est prise en charge par Saturninius, gouverneur de la Syrie entre 10 et 7 avant J.-C. et le décret de César fut pris en 8 av. J.-C. étant donné la difficulté des moyens de communications, la date de naissance est certainement postérieure à l’an 8 avant J.-C. On pourrait avancer d’autres arguments historiques pour mieux cerner ces évènements, mais ils n’apportent pas d’informations supplémentaires. En conclusion, la date de naissance serait à placer dans la fourchette de dates s’étendant entre 8 et 5 avant J.-C. La date du 25 décembre est universellement utilisée depuis 336. Auparavant, suivant les pays on célébrait cette fête le 6 janvier ou encore le jour du solstice d’hiver. Les dates étaient fixées en accord avec la tradition qui voulait que le Christ soit né en milieu d’hiver. Mais si l’on s’en tient à saint Luc (II, 8), on peut écarter la saison froide car « il y avait dans la contrée, des bergers qui vivaient aux champs et qui surveillaient leurs troupeaux ». À Bethléem, à 800 m. d’altitude, les conditions sont rigoureuses durant l’hiver et les troupeaux ne sortent pas.
Les Mages
Dans les termes de l’évangile, « l’Orient » est extrêmement vague et il inclut toutes les contrées allant du nord-est au sud-est de la Palestine : Arabie, Mésopotamie, région de la Caspienne. Certaines sources bibliques précisent leur pays d’origine en Arabie (Isaïe LX, 6, Psaumes LXII, 10 à 15) ou encore en Perse. Les nombres des adorateurs n’est fixé nulle part : on en a retenu trois en accord avec le nombre de présents (or, encens et myrrhe) mais certaines traditions orientales en citent 12. Les Mages n’étaient nullement des rois comme la légende l’affirme car la tradition transforme les Mages en Rois Mages au VIe siècle. La Bible elle-même ne parle que de Mages. En ce temps-là, Babylone était un grand centre d’astronomie et dès l’époque du prophète Daniel, il y eut des astronomes Juifs. La tâche des astronomes est essentiellement astrologique et dans ces sociétés, mages, devins et astrologues forment une caste qui possède des pouvoirs religieux et politiques importants. Ces Mages étaient familiarisés à la fois avec l’aspect des constellations et avec les prophéties ; ainsi, il n’est pas inconcevable qu’un phénomène astronomique interprété comme le précurseur de la venue du Messie ait attiré l’attention des Mages.
Quelle étoile ?
Durant la période qui s’étend de 7 à 4 av. J.-C. des phénomènes astronomiques spectaculaires se sont produits et certains ont même laissé des traces dans des chroniques anciennes (tableau infra). Les objets et phénomènes assimilables à l’étoile appartiennent à deux catégories : les phénomènes prévisibles (conjonctions de planètes, rapprochements planétaires) et les nouveautés (comètes et étoiles nouvelles). Dans la rubrique des nouveautés, il nous vient immédiatement à l’esprit la comète la plus célèbre, la comète de Halley : elle est signalée en 240 av. J-C., sa période – 76 ans – la ramène vers 12 avant J.C., trop tôt pour être un bon candidat. Les chroniques chinoises et coréennes rapportent deux objets :
1) En mars 5 avant J.-C., une comète apparaissant dans la constellation du Capricorne est visible pendant plus de 70 jours. En effet, le texte dit : « Au cours du second mois de la 2e année du règne de Chien Ping (10 mars au 7 avril an 5 avant J.C.), une comète est apparue dans la 9e maison Chien Nin (Capricorne) pendant 76 jours ».
2) En 4 avant J.-C., une autre comète est observée dans la constellation de l’Aigle. Elle est signalée dans deux textes : « Au cours de la 3e année du règne de Chien Ping (4 avant J.-C.), une comète « sans queue » a été vue dans Ho-Ku » (constellation de l’Aigle) et « Le jour Chi-Yu du 2e mois de la 5e année de Hyokkose-Wang (février 4 avant J.-C.), une comète a été vue dans Ho-Ku ».
Pour ces objets, aucune mention n’est faite d’un mouvement quelconque comme c’est le cas pour la comète de Halley. Il pourrait s’agir d’étoiles nouvelles (nova ou supernova) dont l’éclat varie brutalement. Deux ou trois planètes se rapprochant l’une de l’autre produisent un phénomène intrigant qui a pu frapper l’imagination des astrologues mésopotamiens. J. Kepler fut fasciné par le rapprochement spectaculaire entre Jupiter et Saturne du 17 décembre 1703, et c’est lui qui suggéra ce phénomène comme explication de l’étoile de Bethléem. La plupart des rapprochements sont difficiles à observer et souvent, le phénomène est visible un bref instant avant le lever ou après le coucher du soleil. L’étude systématique de tous les rapprochements planétaires montrent qu’une conjonction spectaculaire s’est produite en 7 avant J.-C. entre Jupiter et Saturne. Il s’agit d’une conjonction triple car à l’instant de leur rapprochement, les deux planètes ont décrit leurs boucles de rétrogradation, ce qui fait qu’elles se sont rapprochées à trois reprises les 29 mai, 6 octobre et le 1er décembre alors qu’elles se trouvaient dans la constellation des Poissons. Ce phénomène avait été prévu par les Mésopotamiens qui ont pu donner l’interprétation astrologique suivante : le Dieu (Jupiter) envoie sa protection (Saturne) chez les Juifs (Constellation des Poissons). Le premier rapprochement (29 mai) décide les Mages à entreprendre leur voyage. L’expédition (1 000 km) dure environ quatre mois et ils arrivent à Jérusalem à l’instant du deuxième signe (6 octobre). L’arrivée des Mages trouble Hérode qui craint une menace pour son trône. Après leur audience avec Hérode, la troisième conjonction du 1er décembre se produit indiquant aux Mages la direction de Bethléem. On peut aussi proposer un autre scénario : la conjonction attire l’attention des Mages qui attendent un autre signe. Il se manifeste sous la forme de la première comète en mars 5 avant J.C. et ils arrivent à Jérusalem à l’époque de l’apparition de la deuxième comète en avril 4 avant J.-C. qui les conduit à Bethléem.
Jean-Paul PARISOT
Emprunté à la revue de la Société astronomique de Bordeaux : Astronomie Passion, n° 6