mars/avril 2005
Sous l’Ancien Régime, Libourne était une cité à l’aspect essentiellement médiéval. Ce n’est qu’en 1794 que les plus farouches Sans-Culottes locaux proposèrent de détruire les portes et les murs de l’enceinte fortifiée du XIV e siècle. Ces démolitions, qui commencèrent dès la décision prise, perdurèrent de manière ponctuelle pendant tout le XIX e siècle. Aussi, bien rares sont les documents (peintures et dessins) montrant ce qu’étaient réellement ces ouvrages dont il ne reste plus aujourd’hui (hormis la porte du Grand-Port, constituée de la tour Richard et de la tour Barré) que de pauvres vestiges isolés que les municipalités successives n’ont jamais songé à dégager et à mettre en valeur. C’est donc avec une joie mêlée d’étonnement que j’ai découvert dernièrement chez Patrick Poncet, marchand de tableaux bien connu à Bordeaux, un minuscule (H : 11,5 x L : 7,5 cm) lavis à la sépia portant au recto la mention à Libourne représentant une partie de l’enceinte médiévale. Il est difficile de déterminer avec précision quelle partie de l’ensemble fut choisie pour motif par l’artiste mais il est vraisemblable que ce soit la portion du rempart construite en face de l’Isle.
La porte représentée doit être ce qui restait alors, soit de la porte Cavernière, ouvrant sur la rue Saint-Thomas (aujourd’hui rue Clément-Thomas) soit de la porte Salinière, ouvrant sur la rue Sainte-Catherine (aujourd’hui rue Waldeck-Rousseau) monuments qui nous sont connus par les textes mais pas par des représentations figurées. Nous formulons cette hypothèse car les mâchicoulis qui figurent sur le côté gauche de la porte représentée sont presque identiques à ceux ornant le haut du mur se trouvant encore de nos jours du côté gauche de la tour Richard, alors que les murs bordant l’actuel cours Tourny sont ornés en leur partie supérieure de simples corbeaux. Par contre, en ce qui concerne l’auvent adossé à la muraille et soutenu par une colonne au chapiteau d’ordre corinthien, nous devons avouer notre ignorance totale. Sans doute avait-il été construit à l’usage de celui qui avait fait ouvrir dans la muraille la baie rectangulaire clôturée par trois planches qu’on peut voir à côté de la porte. Dès le début du XIX e siècle, les propriétaires libournais avaient pris l’habitude de percer ainsi l’ancien rempart dans un but utilitaire. On peut voir encore actuellement l’exemple de cette pratique sur la portion des remparts bordant la rue des Docteurs-Moyzès.
Ce dessin n’est ni signé ni daté mais il faisait partie d’un ensemble d’œuvres de Gabriel-Hippolyte Lebas (né à Paris en 1812, mort en 1880), fils de l’architecte du même nom et élève de Granet, ce qui du reste transparaît dans la facture de son œuvre libournaise, la porte du monument ouvrant sur un espace clair ou se trouvent trois petits personnages, composition qui avait fait le succès de ce maître.
Notre dessin doit se situer au début de la carrière de Lebas, soit vers 1840-1845, lors d’un voyage qu’il effectua dans le sud-ouest de la France car il y avait dans cet ensemble, des paysages situés à Bordeaux, à Toulouse et à Brive. Il est normal que dans ces villes, l’artiste ait eu envie de dessiner les monuments les plus typiques, mais il est curieux qu’il se soit arrêté à Libourne, petite ville qui n’offrait pas vraiment de curiosités à l’œil averti de l’archéologue (la porte du Grand-Port qui fait l’orgueil de Libourne était encore enclavée dans d’affreuses maisons). Il y avait peut-être une raison à la venue de Lebas à Libourne : la présence du peintre romantique Théophile Lacaze.
Par un article du Courrier de Bordeaux paru le 29 août 1839, nous savons que nombreux étaient ceux qui se posaient des questions sur ce grand bourgeois libournais qui exposait régulièrement au Salon mais vivait à Libourne, entouré de sa famille, fuyant la presse et se défiant des inconnus. Au cours de son voyage, Lebas n’aurait-il pas fait un détour par Libourne pour rencontrer l’artiste libournais ? Ce n’est pas invraisemblable car nous savons que malgré sa solitude relative, Lacaze entretenait de bons rapports avec certains artistes parisiens. Le catalogue du Salon de 1840 nous apprend qu’il se faisait domicilier et partageait l’atelier du peintre Jean-Guillaume Naigeon (1797-1867) qui devint conservateur du musée du Luxembourg.
Quoi qu’il en soit, notre petit lavis présente un réel intérêt iconographique et historique. C’est à ce titre que je vous le présente ici.
Jean-François Fournier
Société archéologique de Bordeaux
Légende des illustrations :
G.-H. Lebas. Une partie du rempart de Libourne (vers 1840).
Mâchicoulis se trouvant à la gauche de la tour Richard.