novembre/décembre 2010
C’est le 6 mars 1881 que François Daleau (1845-1927), archéologue, ethnologue, anthropologue, préhistorien de Bourg-sur-Gironde, découvre la grotte de Pair-non-Pair.
Située sur le territoire de la commune de Prignac-et-Marcamps, sur la rive gauche du Moron, affluent de la Dordogne, cette cavité de taille modeste puisque sa longueur n’excède pas une quinzaine de mètres, creusée dans un massif calcaire à astéries, est orientée selon un axe nord-ouest/sud-est avec l’entrée au sud-est. Cependant durant la première fréquentation par le préhistorique elle était beaucoup plus vaste et spacieuse. En effet, c’est à la fin du Moustérien (vers – 40.000 ans) que la voûte s’effondre progressivement laissant à l’air libre les quinze premiers mètres correspondant au grand corridor extérieur bien visible aujourd’hui.
Lorsque François Daleau pénètre pour la première fois dans Pair-non-pair, il ne se doute pas encore que les parois sont ornées de gravures pariétales. La grotte remplie jusqu’à soixante centimètres de la voûte par une riche couche archéologique va nécessiter un travail de fouilles gigantesque, d’une précision inédite pour cette fin du XIXe siècle. Durant une trentaine d’années, le préhistorien girondin y vient de manière régulière, lorsque son travail d’exploitant viti-vinicole lui en laisse la possibilité.
Précurseur, visionnaire et innovateur, il va utiliser des méthodes de fouilles surprenantes pour l’époque : fouilles au couteau, à la truelle, carroyages numérotés, notes manuscrites, plans et dessins inscrits au jour le jour dans ses carnets d' » Excursions « , étiquetage des outils et ossements découverts. Il s’essayera à la taille des silex et son interrogation permanente portera même sur l’utilisation des différents types d’outils…
Il fera même photographier par Théodore Amtmann, photographe bordelais membre de la Société Archéologique de Bordeaux, la progression des fouilles de la cavité et les premiers animaux gravés découverts dès 1897.
également inquiet pour l’avenir de la caverne et dans un souci de conservation des œuvres il osera faire des moulages des gravures qu’il présentera d’ailleurs à l’Exposition Universelle de Paris en 1900.
L’étude de l’industrie lithique et osseuse (15.000 pièces) et des restes fauniques (6 000 répartis sur 60 espèces) découverts va mettre en évidence une occupation du site par plusieurs cultures préhistorique successives.
Les différents niveaux mis au jour sont attribués pour le Paléolithique moyen aux :
- Moustérien de type Quina et au Moustérien de tradition Acheuléenne ;
- Châtelperronien. Les hommes de cette culture de transition fréquentèrent la cavité juste après l’effondrement de la partie antérieure de la cavité.
Enfin pour le Paléolithique supérieur deux niveaux sont présents :
- l’Aurignacien ;
- le Gravettien.
C’est donc sur une période de plus de 60.000 ans que des hommes se sont succédé à Pair-non-Pair mais c’est bien aux Aurignaciens que les œuvres pariétales sont aujourd’hui attribuées.
François Daleau note dans ses carnets, le 31 août 1896 : » J’ai remarqué ces dessins pour la première fois le 27 décembre 1883 « , mais ce ne sera en fait que le 13 novembre 1896 qu’il publie dans le Bulletin de la Société Archéologique de Bordeaux les premières gravures découvertes. Ainsi Pair-non-Pair devient la troisième grotte ornée mise au jour après Altamira (Espagne) et Chabot (Ardèche).
Les représentations animales incisées dans le calcaire se trouvent situées sous un puits de jour naturel, sur les parois droites et gauches et réparties sur sept panneaux bien distincts.
C’est le bouquetin qui est le plus représenté alors qu’aucun ossement fossile de ce capriné n’apparaît ni dans les vestiges livrés par la caverne ni dans tous les gisements préhistoriques de Gironde. Ce constat démontre ainsi que la faune représentée par les artistes n’est pas nécessairement liée à celle présente dans l’environnement immédiat de l’homme de Pair-non-Pair.
Puis viennent des chevaux, des cervidés dont un mégalocéros, très rarement figuré dans l’art pariétal, des bisons et des mammouths.
Un cheval géant, qui demeure d’ailleurs une des plus grandes gravures connues au monde, domine de par sa taille et son positionnement l’ensemble du sanctuaire gravé.
Ces figurations profondes, parfois à la limite du bas-relief, sont d’une grande qualité, d’une parfaite lisibilité et dans un état de conservation remarquable.
Sur certaine d’entre elles subsistent encore des traces d’ocre rouge, pigment qui plaide en faveur de leur mise en peinture initiale.
Les œuvres pariétales en relation directe avec des couches archéologique demeurent rares et exceptionnelles.
À Pair-non-Pair, c’est donc bien les niveaux archéologiques qui les recouvraient et ceux sous lesquels elles se situaient qui permettent d’en déterminer l’ancienneté et une datation objective.
Longtemps attribuées au Gravettien, notamment par André Leroi-Gourhan, qui voyait dans cette culture le début de l’expression figurative dans l’art pariétal préhistorique, la découverte de la grotte Chauvet (Ardèche) ainsi qu’une étude récente des courriers, notes, carnets de Daleau et des hauteurs de niveaux de la cavité, permettent dorénavant d’attribuer ces œuvres d’art à l’Aurignacien et de les dater à environ 30.000 ans avant notre ère.
La reconnaissance de l’art préhistorique ne fut pas chose aisée, celle de l’art pariétal encore moins que pour l’art mobilier. Altamira en est l’exemple classique. En effet à sa découverte, le monde scientifique de l’époque est plus que sceptique devant les fameux bisons et autres représentations sublimes de la cavité ibérique. Pour certains ce ne sont que des faux, destinés à tromper la vigilance des spécialistes. En un mot les esprits ne sont pas encore prêts.
Pair-non-Pair va alors faire admettre enfin les réelles qualités artistiques de l’homme du Paléolithique supérieur. Les gravures étant sous un dépôt archéologique déjà préhistorique, elles ne pouvaient évidemment être l’œuvre que de la main des hommes de la préhistoire.
C’est alors qu’Altamira et Chabot sont analysées avec un regard nouveau et que le préhistorien Emile Cartailhac écrit son mémorable article » Mea culpa d’un sceptique » dont le titre révélateur indique définitivement que les barrières sont enfin tombées.
C’est grâce à François Daleau et à son combat farouche pour éviter que la seule grotte ornée du département de la Gironde ne soit irrémédiablement détruite et transformée en carrière de pierre que Pair-non-Pair est enfin achetée par l’état, le 20 novembre 1900. Cet achat valut classement au titre des monuments historiques, ce qui assure dorénavant la protection définitive de ce site majeur de l’art pariétal mondial.
Aujourd’hui c’est le ministère de la culture et le Centre des monuments nationaux qui en assurent la conservation, la gestion et l’ouverture au public.
Les entrées latérales primitives sont murées et l’entrée principale est fermée depuis 1903.
Quotidiennement surveillée sous différents paramètres (hygrométrie, température de l’air et des parois, taux de dioxyde de carbone, infiltrations d’eau, fissurations…), la grotte est ouverte au public sous forme de visites conférences, en groupes restreints avec réservation préalable.
Pour mieux accueillir les 11.700 visiteurs (capacité maximale) qui chaque année franchissent la porte de Pair-non-Pair, un nouveau et remarquable bâtiment d’accueil a été construit en 2008 sur la prairie surplombant la cavité. Architecture rustique et contemporaine à la fois, il présente en vitrines une partie de l’industrie lithique et osseuse (dépôt du Musée d’Aquitaine) ainsi qu’une partie des restes osseux des principaux animaux (dépôt Muséum d’histoire naturelle de Bordeaux).
Dans un souci de conservation permanent, la seule grotte ornée du département de la Gironde reste encore l’une des plus remarquables cavités du début du Paléolithique supérieur encore ouverte au public.
Bibliographie :
LENOIR (M.), ROUSSOT (A.), DELLUC (B. et G.), MARTINEZ (M.), LOISEAU (S.), MEMOIRE (N.), La grotte de Pair-non-Pair, Bordeaux, Société Archéologique de Bordeaux et Conseil général de la Gironde, (collection » Mémoires « , volume 5), 2006.
SAUVET (G.), FRITZ (C.), TOSELLO (G.), » Emergence et expansion de l’art aurignacien « , Bulletin de la Société Préhistorique Ariège-Pyrénées, t. LXIII (2008), p. 33-46.
MISTROT (V., coord.), De Néandertal à l’homme moderne ; l’Aquitaine préhistorique, vingt ans de découvertes (1990-2010), Bordeaux, éditions Confluences, 2010.
Un nouvel espace d'accueil à Pair-non-Pair
Après la disparition de François Daleau, qui mettait un point d’honneur à faire visiter lui-même Pair-non-Pair, la grotte girondine va progressivement perdre sa notoriété et ne s’ouvrir au grand public que de manière épisodique.
Les découvertes de Font-de-Gaume et de Combarelles au début du XXe siècle, puis de Lascaux, de Rouffignac…, suscitent un engouement du grand public pour les cavités ornées, entraînant notamment en Dordogne le développement d’un » tourisme préhistorique « .
Vers la fin des années 1980 et surtout dans les années suivantes la mise au jour de nouvelles grottes ornées en France : Cosquer et Chauvet, ainsi que leur importante médiatisation, réveillent l’intérêt du grand public pour les premières manifestations artistiques de l’homme.
Ainsi, en Gironde, le Ministère de la Culture, via la DRAC Aquitaine, souhaite dès 1994 ouvrir de manière régulière la grotte de Pair-non-Pair au grand public, avec sur place un personnel formé à la conservation et à la médiatisation culturelle et scientifique des grottes ornées.
De 2 000 visiteurs en 1992, le cap des 10.000 est rapidement dépassé, pour arriver aujourd’hui à 11.700 personnes par an, capacité maximale autorisée.
Face à une telle affluence, afin de mieux accueillir le public, on se devait de créer un nouvel espace d’accueil digne de la renommée internationale du site.
Avec la volonté d’Alain Rieu, conservateur régional des monuments historiques, le projet d’une création architecturale sur la prairie à proximité de Pair-non-Pair a pu prendre forme.
La réalisation de cette construction a été confiée à Patrick Hernandez, architecte bordelais qui la définit comme » une plate-forme d’observation, mi-enclos, mi-habitacle, inclinée dans la pente entre le parking et la grotte, conçue comme un passage dans le temps de l’humanité naissante. Les sols et les toits s’inclinent dans l’axe de la visite selon un mouvement parallèle… »
La structure de poteaux de chêne bruts alternant avec des parois de béton où se lisent les veines du bois de coffrage s’articule autour de deux vitrines-cloisons présentant des éléments de l’industrie lithique ou osseuse et de la faune découverts par Daleau. Une troisième vitrine montre d’autres vestiges préhistoriques provenant de la grotte des Fées et du roc de Marcamps, gisements tout proches de Pair-non-Pair.
Cette exposition permanente, organisée sous le contrôle du comité scientifique composé de Michel Lenoir, Sigolène Loizeau, Marc Martinez, Nathalie Mémoire et Vincent Mistrot, permet de gérer le temps d’attente du public entre deux visites-conférences de la grotte.
Cet espace a été inauguré le 5 février 2008 par le préfet de Région, Francis Idrac, le président du Centre des monuments nationaux, C. Vallet et Alain Rieu, un peu plus de quatre-vingts ans après la mort de François Daleau.
Marc MARTINEZ
Ministère de la Culture. Centre des monuments nationaux.
Société archéologique de Bordeaux
La grotte de Pair-non-Pair à Prignac-et-Marcamps (Gironde)
C’est un ouvrage collectif bienvenu sur la grotte préhistorique la plus célèbre de Gironde. Sont ici regroupées toutes les connaissances actuelles sur ce site de référence de l’art pariétal paléolithique, et aussi sur son inventeur François Daleau, longuement évoqué tout au long du livre. Suite à sa découverte en 1881, Daleau fouilla minutieusement la cavité, et réussit à la faire protéger face à la menace d’une exploitation calcaire dans ce secteur ; ce fut ainsi la toute première grotte à être classée, en 1900. Pendant 15 ans, il réunit de riches collections lithiques, des industries osseuses et des restes fauniques, et distingua sept couches d’occupations. Tout ce matériel est ici révisé, et en partie ré-interprété, et les Notes et Carnets de terrain de l’inventeur sont analysés.
Pair-non-Pair fut habité au Moustérien, puis au Châtelperronien, à l’Aurignacien et au Gravettien. Cela témoigne de peuplements répétés dans cette région assez plane de l’Aquitaine atlantique, soumise à des changements climatiques plus nuancés que sur les bordures des Pyrénées ou du Massif Central. Les collections rassemblées par F. Daleau ont une valeur historique et patrimoniale. Les vestiges fauniques disponibles aujourd’hui comportent pour moitié des os de renne, bison et auroch (espèces chassées par les hommes de ces périodes), ainsi que des carnivores variés, des mammouths, rhinocéros et des rongeurs.
Les gravures animales réalisées sur les parois du calcaire oligocène font bien sûr ici l’objet de longs développements et de très nombreuses illustrations. Le bestiaire recensé compte notamment 11 bouquetins, 6 chevaux, 8 bovins et cervidés, 4 mammouths, 1 mégacéros. Ces représentations se structurent en » panneaux » liés à la topographie naturelle de la cavité, avec des positions latérales ou plafonnantes. Ce site girondin -majeur et emblématique- correspond donc aux témoignages les plus anciens de l’art pariétal paléolithique, qui s’intègre dans un ensemble bien connu dans l’aire atlantique franco-cantabrique.
Bruno CAHUZAC, Maître de conférences,
UFR Sciences de la Terre et de la Mer, Université Bordeaux 1, Talence
Membre du Comité de Direction de l’USA