septembre/octobre 2008
Contrairement à ce que l’on croit souvent, la cosmologie scientifique n’est pas née avec la théorie de la relativité générale. Ainsi, au XIX e siècle, les thermodynamiciens avaient déjà esquissé un modèle de cosmos voué… à la « mort thermique », à cause, pensaient-ils, d’une tendance à l’égalisation des températures dans l’Univers. Mais la science de l’époque était par trop incomplète. Pour les astrophysiciens d’aujourd’hui, cette anticipation cosmologique n’a plus cours.
Avec brio, les chercheurs du XIX e siècle ont développé une nouvelle discipline : la thermodynamique. Celle-ci, en formalisant des considérations énergétiques fondamentales, donnait accès à une vraie compréhension des premières « machines à feu » (les machines à vapeur). Mais cette science ne se limite pas aux moteurs ou à la technique. Ainsi, l’étude de la chaleur et de sa conversion, sous forme de « travail » (énergie mécanique), a conduit à la généralisation de « principes » qui dominent toujours la physique. Ce sont eux que l’on applique à l’Univers. Le principe de conservation de l’énergie est le premier d’entre eux : l’énergie peut se présenter sous diverses formes, mais l’énergie totale d’un système isolé ne peut ni diminuer ni augmenter. Un système est « isolé » quand il ne peut changer ni matière ni énergie avec l’extérieur. Voilà qui interdit le « moteur perpétuel », car l’énergie consommée ne peut être créée spontanément : elle a une origine (mécanique, chimique, thermique, nucléaire, rayonnement…). Cependant, il ne faut pas confondre ce moteur perpétuel, dit de « première espèce », avec le « mouvement perpétuel » qui, lui, existe ! Il « suffit » qu’il n’y ait aucun frottement, aucune perte, et que personne ne s’avise d’utiliser ce mouvement. Une bonne approximation du cas est donnée par la révolution d’une planète autour d’une étoile : l’énergie mécanique initiale du système s’y conserve presque indéfiniment… Quant au second principe, il nous enseigne que s’il est possible de transformer intégralement du travail en chaleur, la réciproque n’est pas vraie. Certes, les moteurs thermiques montrent que l’on obtient du travail à partir de la chaleur, mais ce n’est qu’une fraction de cette dernière qui est transformée, jamais l’intégralité, et à la condition expresse de disposer de « sources » à des températures différentes. Plus grand est l’écart de température entre le foyer (T 1) et le condenseur (T 2) et meilleur est le rendement (r) de la machine. C’est ce qu’indique la formule classique (cycle de Carnot) :
r = 1 – T 2/T 1
où les températures T1 et T2 sont exprimées en kelvins. Mais la valeur obtenue n’est qu’un maximum théorique : le rendement thermodynamique. A cause de pertes supplémentaires (frottements, etc.), le rendement réel est toujours inférieur à r (il n’est que d’environ 0,1 = 10 % pour une locomotive à vapeur).
La chaleur circulant spontanément du « chaud » vers le « froid » (jamais l’inverse !), tout moteur thermique tend à réchauffer la source froide, diminuant ainsi le rendement… Si T 1 = T 2, alors r = 0. Ce cas limite (rendement nul) montre qu’une réserve d’énergie thermique, aussi importante soit-elle, reste inutilisable si l’on n’en dispose que par l’intermédiaire d’une ou de plusieurs sources à la même température. Par exemple, un navire transatlantique doit consommer du pétrole, alors qu’il baigne au milieu d’une fantastique réserve d’énergie calorifique… S’il pouvait utiliser les calories de l’océan, ce ne pourrait être qu’en le refroidissant, pour ne pas contredire le premier principe (conservation de l’énergie). Mais cette solution est interdite… par le second ! D’après lui, il ne peut exister de moteur perpétuel de « seconde espèce ». En effet, la thermodynamique démontre l’impossibilité de tirer un travail d’un système isolé où l’énergie serait pompée d’une source froide (ici l’océan) vers une source chaude (un réservoir thermique). Faire intervenir l’énergie solaire, le vent, etc. ne lèverait pas l’interdiction. (Elle serait seulement contournée par un changement de nature du système qui, notamment, ne serait plus isolé.)
Avec des frottements, la compression d’un gaz ou l’effet Joule, produire de la chaleur est facile et rien ne s’oppose à ce que la transformation atteigne un rendement de 100 %. A l’inverse, obtenir du travail à partir de la chaleur reste toujours une opération contraignante et de médiocre rendement : nécessité de deux sources, transfert de la source chaude vers la froide (et non l’inverse), détournement de chaleur en pure perte vers la source froide (quelle que soit la technologie imaginable), tendance à l’égalisation des températures avec diminution concomitante du rendement… On comprend pourquoi la chaleur est souvent vue comme de l’énergie « dégradée ». Résumons : comme l’eau qui ne peut que descendre une pente, on constate que le niveau d’efficience de l’énergie descend inéluctablement. L’énergie tend à se dégrader sous forme thermique, devenant de moins en moins disponible pour être transformée en une forme plus utilisable, plus « noble » (mécanique, électrique…). A la fin de ce processus général et irréversible, alors même qu’aucun joule ne manquera jamais dans l’Univers (considéré comme un système isolé) et tandis que les températures se seront peu à peu égalisées, plus aucune transformation ne se produira… Penser à l’énergie hydraulique, nulle, d’un grand lac stagnant au niveau de la mer, incapable d’actionner la moindre turbine… Voilà, croyait-on, ce qui devait frapper, un jour, l’ensemble des transformations. Au XX e siècle, encore, l’astrophysicien Sir James Jeans écrivait : « (…) il faut que l’énergie descende la pente. Dire que l’énergie totale de l’univers ne peut pas diminuer et que par conséquent l’univers ne peut pas avoir de fin, c’est comme si l’on disait que l’horloge ne peut pas s’arrêter parce que son poids moteur ne peut pas diminuer. » (J. Jeans, L’Univers, Payot, Paris, 1930).
Le rôle déterminant de la gravité
A l’opposé de ce que nous observons avec les objets du quotidien, en rayonnant leur énergie, les jeunes étoiles ne se refroidissent pas ; au contraire, leur température augmente ! Ce comportement hors du commun invalide les généralisations précédentes. Toute naissance stellaire dans le cosmos fait apparaître un nouveau « point chaud », une « source ». Mais par quel mécanisme ? La gravité joue ici un rôle clé. C’est une force qui s’exerce à des distances considérables et dont aucun « écran » ne peut annuler l’effet attractif (pas de « blindage » possible). Ces propriétés font que l’énergie gravitationnelle est proportionnelle au carré de la masse présente dans un volume donné. L’énergie chimique n’est que proportionnelle à la masse du corps considéré ; idem pour l’énergie nucléaire. Si l’on considère une vaste région de l’espace présentant quantité d’atomes sous forme de gaz et de poussières, même si ces éléments sont à une température uniforme, cela ne change pas le processus d’attraction qui tend à les rapprocher. Leur rapprochement accentue encore la force attractive, etc. On assiste à un effondrement de la matière sur elle-même, libérant ainsi de l’énergie. Un effondrement gravitationnel peut créer une élévation de température telle que des réactions de fusion nucléaire s’amorcent. Ces dernières, en exerçant une pression expansive, viennent s’opposer à l’effondrement. Les forces nucléaires viennent donc « réguler » l’émission d’énergie de ce nouvel objet. Une étoile est née. On comprend qu’une population renouvelée de myriades d’étoiles éloigne quelque peu le spectre de la mort thermique…
Cette histoire incite autant à la prudence qu’à la modestie. En 1930, James Jeans connaissait évidemment la fameuse relation E = mc 2, mais certaines pièces du puzzle lui manquaient. Les physiciens n’en savaient pas assez sur la nature du noyau de l’atome (le neutron a été découvert en 1932) et ignoraient encore tout du cycle de Bethe (1938), fondamental, avec la gravité, pour expliquer le rayonnement d’une étoile. Depuis, la cosmologie a progressé, certes, mais d’autres questions surgissent, et non des moindres : matière noire, énergie sombre, etc. Questions pertinentes ou chimères ?
Daniel Rebeyrol
Société Astronomique de Bordeaux